REIMS
Publié par le Centre d’études et de recherches du Groupe Monassier
Habitat social, Collectivités Décryptages
L’article L. 251-3 du Code de la construction et de l’habitation dispose, en son alinéa 1er que « le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier ».
La constitution d’une hypothèque est autorisée sur le fondement du second alinéa de l’article L. 251-3 précité. En effet, « ce droit [réel] peut être hypothéqué, de même que les constructions édifiées sur le terrain loué ».
Toutefois, la problématique de la durée de la garantie et du sort de l’hypothèque à l’expiration du bail mérite d’être soulignée. A ce titre, l’article L. 251-6 du Code de la construction et de l’habitation précise que :
« Les […] hypothèques ou autres charges nées du chef du preneur, s’éteignent à l’expiration du bail, sauf pour les contrats de bail des locaux d’habitation. »
Autrement dit, le droit hypothécaire conféré par le preneur s’éteint par la survenance du terme affectant le bail à construction. Ce principe constitue le corollaire du principe suivant lequel le bailleur devient propriétaire, à la fin du bail, des constructions assises sur le droit de superficie[1] initialement consenti au preneur.
Mais il s’agit d’une règle supplétive de volonté. En effet, aux termes de l’article L. 521-8 du Code de la construction et de l’habitation, seules sont impératives les dispositions « des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 251-3, ainsi que celles de l’avant dernier alinéa de l’article L. 251-5 »[2]. Les parties peuvent donc, lorsque le preneur acquiert la propriété du foncier au terme du bail, prévoir un aménagement conventionnel selon lequel les charges nées du preneur, en ce comprises les hypothèques constituées de son chef, ne seront pas éteintes au terme du bail, par dérogation aux dispositions de l’article L. 251-6 susvisé[3].
Une seconde solution consiste, pour le notaire, à s’assurer que la durée du bail est supérieure à la durée de l’emprunt[4].
On notera une spécificité du secteur de l’habitation social, puisque lorsque le bail comporte une option d’achat du foncier par le preneur en vue de son accession, les hypothèques inscrites par le preneur, avant la levée l’option selon le mécanisme de l’article L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation, « ne s’éteignent pas à l’expiration du bail mais conservent leur effet jusqu’à leur date d’extinction »[5].
Il est fréquent, dans un bail à construction, que le preneur, pour des besoins de trésorerie, ait besoin de recourir à un prêt afin de financer les constructions qu’il souhaite édifier. Or, dans la plupart des cas, le prêteur exigera une garantie prenant la forme d’une hypothèque grevant les constructions qui seront édifiées par le preneur ainsi que le droit réel dont il est titulaire au titre du bail. La mise en place de cette garantie peut s’avérer délicate lorsque le bien est déjà grevé d’une inscription hypothécaire du chef du bailleur, l’organisme prêteur n’acceptant pas une garantie venant en second rang.
Comment satisfaire le prêteur du preneur sans faire perdre son rang au créancier du bailleur ?
L’intervention du créancier hypothécaire du bailleur dans l’acte de bail à construction pour autoriser le bail ne règle pas le problème. En effet, cela n’empêche pas la règle de l’accession immobilière concernant les inscriptions hypothécaires, prévue à l’article 2397 alinéa 3 du code civil, de produire son effet, à savoir qu’en vertu dudit article, « l’hypothèque s’étend aux améliorations qui surviennent à l’immeuble ». Autrement dit, les constructions réalisées vont de plein droit entrer dans l’assiette du gage du créancier et l’accroître.
Si la précaution consistant à faire intervenir à l’acte le créancier hypothécaire du bailleur ne pallie pas cet inconvénient, selon quelles modalités le créancier hypothécaire du bailleur peut-il renoncer à ses prérogatives à l’égard du preneur ?
Le fait de consentir un bail à construction à un tiers ne prive pas pour autant le bailleur, propriétaire du terrain d’assiette, de la faculté d’en disposer librement ; et notamment, de l’hypothéquer au profit d’un tiers.
Dans ce cas, et sous réserve de la publication du bail au fichier immobilier en bonne et due forme (D. n° 55-22, 4 janv. 1955, art. 28), l’hypothèque consentie par le bailleur a pour assiette le terrain d’assise, déduction faite de la superficie correspondant au droit réel conféré au preneur.
Si le bail a déjà été constitué, le bailleur ne pourrait alors donner en hypothèque que les seuls droits qu’il possède sur le terrain, abstraction faite des constructions et du droit réel du preneur[6].
Lorsque le preneur emprunte, les banques exigent, la plupart du temps, une garantie sur le terrain d’assiette du bail à construction. Autrement dit, les créanciers du preneur ne manquent pas, en pratique, de demander également une affectation hypothécaire par le bailleur, lorsqu’ils prennent l’inscription contre le preneur sur son droit réel et les futures constructions. Cela assure la pérennité de leur inscription lors de l’extinction du bail. Toutefois, cette précaution est sans portée si le bail prévoit qu’à son terme le preneur conservera terrain et constructions.
Cependant, bien souvent, l’inscription au profit du créancier du bailleur préexiste déjà lors de la conclusion du bail à construction. Or, on l’a dit, la règle de l’accession jouera automatiquement et l’hypothèque s’étendra aux constructions réalisées par le preneur, ce qui ne satisfera pas le créancier du preneur.
Le cantonnement de l’hypothèque bénéficiant au créancier du bailleur ne sera possible qu’avec l’accord de ce dernier pour procéder à la mainlevée partielle de l’inscription prise à son profit.
Cette opération permet d’aboutir au résultant escompté en dégrevant uniquement les droits du preneur à bail.
Mais il convient d’être vigilant car la radiation partielle de l’inscription sera définitive. Or, cela pourra être dommageable par la suite dans certaines situations ; notamment lorsque le bail arrivera à son terme. Il en sera de même en cas de résiliation anticipée du bail. L’hypothèque du créancier (du bailleur) restera limitée au tréfonds et ne s’étendra pas aux constructions réalisées par le preneur.
La mainlevée partielle aura permis de s’affranchir de la règle de l’accession de l’article 2397 du code civil précité en la contournant ; et par la même, elle permet au preneur de consentir une inscription hypothécaire sur ses droits. Toutefois, lorsque les constructions reviendront au bailleur (cas le plus fréquent), la banque ne retrouvera pas rétroactivement ses droits sur le tout, malgré la disparition de l’inscription du chef du preneur.
Ainsi, il parait difficile d’obtenir un accord de mainlevée partielle de la part du créancier hypothécaire dès lors que celui-ci aura conscience qu’il risque de se retrouver lésé à l’avenir dans une telle situation, en perdant le bénéfice de sa sûreté sur les constructions édifiées par le preneur à bail.
Afin de pallier cet inconvénient, il convient de réfléchir à d’autres solutions.
Une renonciation du créancier à l’exercice de son droit de suite nécessiterait également une mainlevée partielle ; et donc les conséquences seraient identiques. Il convient donc de prévoir des solutions conventionnelles permettant au créancier du bailleur de conserver ses prérogatives sur les constructions à venir.
Le contrat de bail à construction doit être rédigé avec soin afin de régler le problème en amont.
La rédaction d’une promesse de bail à construction sous diverses conditions suspensives (notamment l’obtention de l’accord d’un créancier), peut être envisagée. Cette solution est satisfaisante en ce qu’elle permet d’éviter la conclusion d’un bail à construction sous condition résolutoire et le risque de double taxation non négligeable.
On peut imaginer que le titulaire de l’hypothèque renonce à se prévaloir de son droit de préférence au profit du créancier du preneur, inscrit après lui. Il s’agirait pour le créancier d’une promesse de ne pas se prévaloir de ce droit mais au bénéfice seulement du créancier du preneur.
Ainsi, la solution est satisfaisante pour l’ensemble des parties :
Le créancier hypothécaire conserve la possibilité de se prévaloir de sa sûreté dans la mesure où il ne nuit pas au créancier du preneur (bénéficiaire de la promesse en question),
Quant au(x) créancier(s) inscrits du chef du preneur à bail, il pourra(ont) bénéficier, indirectement, d’une sûreté de premier rang sur le droit au bail ainsi que sur les constructions.
Cette solution semble plus équilibrée dans la mesure où elle permet la conservation des intérêts de chacun. Elle permet par ailleurs, contrairement au cantonnement analysé ci-dessus, au créancier du bailleur, de retrouver, à l’issue du bail, la possibilité de se prévaloir de sa sûreté, qui n’aura pas disparue.
Il ne s’agit pas d’une convention sur le rang ; mais on peut parfaitement concevoir une autre solution qui consisterait à ce que le créancier du bailleur cède son rang au créancier du preneur. Ce qui permettrait d’aboutir directement et sans détour, au résultat escompté.
Il convient donc d’analyser également cette solution.
Pour conserver ses prérogatives et son hypothèque, le créancier du bailleur peut également accepter d’intervertir son rang avec le créancier du preneur, en vertu de l’article 2424 al 2 du Code civil. En effet, la cession d’antériorité est une convention par laquelle un créancier cède son rang par laquelle il était préférable à un créancier de rang postérieur, dont il prend la place. Cette solution est plus radicale que la précédente, qui permettait seulement au créancier du preneur de bénéficier des avantages d’un créancier de premier rang, mais de manière indirecte.
Dans ce cas également, la formalité de mention en marge de l’inscription est également nécessaire. En effet, si la validité d’une convention de cession d’antériorité n’est conditionnée à aucun formalisme, elle devra toutefois être publiée au fichier pour assurer son opposabilité. (C. civ., art. 2430 et Cass. com., 6 janv. 1987 : D. 1987, 375, note Aynès).
Mais dans le cas particulier du bail à construction, la cession de rang présentera certaines particularités, sur lesquels il convient d’être vigilant.
Tout d’abord, par simple mesure de précaution, il serait préférable, compte tenu des problèmes posées dans les précédentes solutions, de limiter l’effet de la cession de rang dans le temps ; en mettant un terme à cet échange de rangs. Le terme idéal est bien évidemment la fin du bail à construction. On évitera ainsi des problèmes lorsque l’hypothèque du créancier du preneur disparaîtra alors que celle du bailleur avait pris son rang.
Ensuite, un autre point requiert une attention particulière : l’échange de rangs ne devrait être que partiel, en ce qu’il ne porterait que sur le droit réel du preneur et les constructions, autrement dit les droits revenant au preneur.
En effet, l’échange ne peut porter que sur l’assiette que les deux hypothèques ont en commun. Le rédacteur sera vigilant à ne pas l’omettre en rédigeant la cession de rang.
Afin de clore cette réflexion, plusieurs solutions existent pour permettre à chacun des créanciers (du bailleur et du preneur à bail), de concilier leurs intérêts. Toutefois, il convient d’être rigoureux en amont, et de bien informer l’ensemble des protagonistes sur les tenants et aboutissants de la solution retenue.
En tout état de cause, il est important de retenir, que, dans l’hypothèse où il y a lieu de donner en garantie les deux droits réels immobiliers appartenant respectivement au preneur et au bailleur, il est nécessaire lors de la publication du bail, d’individualiser chaque fraction : d’une part, le droit de propriété du sol restant appartenir au bailleur, et ; d’autre part, le droit de propriété de la superficie, appartenant, pour la durée du bail, au preneur. En effet, chacune des fractions peut être affectée hypothécairement et chacun de ces gages peut être réalisé séparément.
Les droits du preneur seront alors identifiés par référence à la parcelle cadastrale d’assiette du bail (s’ils portent sur la totalité du terrain)[7].
Cependant, même si l’assiette du bail est composée d’une pluralité de parcelles, le droit réel reste appréhendé dans sa globalité. Il est impossible de constituer la sûreté sur une partie seulement du droit réel né du bail à construction, pour limiter l’assiette et se réserver l’option de constituer par la suite une seconde hypothèque, elle encore de premier rang. La solution, pour constituer plusieurs hypothèques de premier rang en cas d’une pluralité de parcelles, reste de rédiger deux baux à constructions.
Il faudra donc négocier la convention adéquate et faire du « sur-mesure ». Laissez le prêt-à-porter au placard.
Lorsque le bien est déjà grevé, on notera qu’il est toujours nécessaire d’avertir le créancier pour lequel l’hypothèque a été constituée, de toute mutation à titre onéreux ou toute autre constitution de droit réel, comme la conclusion d’un bail à construction, en raison de ce que les conditions générales de l’emprunt prévoient souvent, dans une telle hypothèse, une déchéance du terme et une exigibilité anticipée des capitaux restant dus. Il est toutefois à noter que, selon les dispositions de l’article 30-1 du décret[8], le bail publié postérieurement à l’affectation hypothécaire est inopposable au créancier[9].
Cette inopposabilité a été rappelée par Cour de cassation, précisément à propos du droit réel conféré dans le cadre d’un bail à construction dont le terrain d’assiette était déjà antérieurement grevé d’une hypothèque[10]. NB : En cas de saisie immobilière, dans la distribution du prix, la créance de la banque résultant du financement de l’acquisition du terrain et garantie par le privilège de prêteur de deniers sera toujours colloquée en premier rang.
Notes
[1] – Le bail à construction est constitutif d’un droit de superficie temporaire, droit réel immobilier conféré au preneur, cf Cass. 3e civ., 16 mai 2001, n° 98-70142
[2] – Cf également Cass. 3e civ., 16 juillet 1998, n° 96-21.180
[3] – En pratique, c’est souvent ce qui est prévu lorsque le bail prévoit que les constructions, ainsi que le terrain d’assiette reviendront au preneur en fin de bail.
[4) – Jean-Luc Tixier, Le bail à construction, de la théorie à la pratique, Litec février 2006, n° 190, § 1 Durée et affectation hypothécaire
[5] – CCH., art. L. 251-6 al2 ; Fasc. 110 : BAIL À CONSTRUCTION, n°49, 8 Avril 2019, H. Périnet-Marquet
[6] – « Une hypothèque consentie par le bailleur sur son sol ne s’étendra pas aux constructions édifiées par le preneur, si ce dernier a rendu ses droits opposables », n° 384, le bail à construction, de la théorie à la pratique, J-L Tixier, Litec, fév. 2006
[7] – Dans le cas où les droits du preneur sont limités à une fraction de la parcelle cadastrale, il y aura lieu d’établir un document d’arpentage.
[8] – Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière
[9] – Le droit de suite conféré au créancier hypothécaire n’est pas affecté par la régularisation ultérieure d’un bail à construction. La conclusion du bail ne lui sera pas préjudiciable, excepté sur le plan de la division des poursuites car le créancier hypothécaire devra saisir, d’une part, le terrain d’assiette entre les mains de l’emprunteur (bailleur), et, d’autre part, le droit réel issu du bail à construction entre les mains du tiers détenteur (preneur).
[10] – Cass. 3e civ., 14 dec. 1994, n° 92-20628 « le bail à construction était inopposable à la banque pour avoir été passé postérieurement à l’inscription hypothécaire ».
Article rédigé par Angélique Gillet,
Notaire assistante à Reims, Office Thiénot & Associés